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mercredi 10 février 2010

REFERENCES DES RENVOIS (F111 - F328 - DMF)


 
à la liberté ou à l’égalité ?

F111 « Par Dieu, j’entends un être absolu­ment infini, c’est-à-dire une substance consistant en une infinité d’attributs [...]. Est dite libre la chose qui existe d’après la seule nécessité de sa nature et est déterminée par soi seule à agir [...]. Dans la Nature il n’y a rien de contingent, mais toutes choses sont déterminées par la nécessité de la nature divine à exister et à produire un effet d’une certaine façon. »(Spinoza, Éthique, I, définitions-29)
F112 « Tous les hommes sont naturellement dans un état de parfaite liberté dans lequel, sans demander de permission ni dépendre de la volonté de quiconque, ils peuvent disposer de ce qu’ils pos­sèdent et de leurs personnes comme ils jugent à propos pourvu qu’ils se tiennent dans les bornes de la loi de la Nature [...]. Ma liberté est le rempart de la conservation de ma personne. »(Locke, Traité du Gou­vernement Civil, §§4-17)
F113 « On a beau vouloir confondre l’indépendance et la liberté, ces deux choses sont si différentes que même elles s’ex­cluent mutuellement. Quand chacun fait ce qui lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît à d’autres [...]. La liberté consiste moins à faire sa volonté qu’à n’être pas soumis à celle d’autrui [...]. Je ne connais de liberté vraiment libre que celle à laquelle nul n’a le droit d’opposer de la résistance. [La liberté, c'est-à-dire la souveraineté, n'est que l'exercice de la volonté générale]. »(Rousseau, Lettres écrites de la Montagne, VIII)
F114 « L’État est une société d’hommes instituée dans la seule vue de la conservation de leurs [droits naturels] (la vie, la liberté, la santé du corps, la propriété des biens ex­térieurs tels l’argent, les terres, les mai­sons, les meubles, etc.). C’est pour cette seule raison que le magistrat est armé de la force réunie de tous ses su­jets, afin de punir ceux qui violent les droits naturels des autres. »(Locke, Lettre sur la Tolé­rance)
F115 « Être captif de sa passion et incapable de rien voir qui nous soit vraiment utile est le pire esclavage, [mais] dans un État et sous un commandement pour lesquels la loi suprême est le salut de tout le peuple et non de celui qui commande [...] chacun peut être plus libre sous la conduite de la Raison. [Il s'agit] de soustraire les hommes à l'esclavage pour qu’ils vivent dans la concorde. »(Spino­za, Traité Théologico-Politique, xvi)
F116 « La volonté générale, qui ne regarde qu’à l’intérêt commun, ne doit pas être confon­due avec la volonté de tous, ni avec une somme de volontés particulières. La volonté particulière tend aux préférences tandis que la volonté générale tend vers l’égalité. Chacun peut, comme homme, avoir une volonté particulière dissemblable à la volonté générale qu'il a comme citoyen. La liberté sans la justice est donc une contradiction : il n’y a point de liberté sans lois, ni où quelqu’un est au-dessus des lois. »(Rousseau, du Contrat Social, I, 3) 

F121 « Sur cette disposition du genre humain à sympathiser avec les puissants, sont fondées la distinctions des rangs et l’ordre de la société. Notre déférence à l’égard de ceux qui nous sont supérieurs naît plus souvent de l’admiration pour les avantages de leur situation que d’une secrète espérance d’un bienfait provenant de leur bon vouloir, lequel ne peut concerner qu’un petit nombre, tandis que leur fortune intéresse presque tout le monde. »(Smith, Théorie des Sentiments Moraux, I, iii, 3)
F122 « Par vertu et par puissance, j'entends la même chose. En ce sens, la vertu, en tant qu'elle se rapporte à l'homme, [consiste à avoir] la puissance de se conserver et de faire certaines choses qui peuvent se comprendre par les seules lois de sa nature. Il n'y a pas, dans la Nature, de chose singulière telle qu'il n'y en ait une autre plus puissante et plus forte. Mais, étant donnée une chose quelconque, il y en a toujours une autre plus puissante par quoi la première peut être détruite. »(Spino­za, Éthique, IV, 8)
F123 « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune [...]. Tous les Citoyens étant égaux [aux yeux de la loi] sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »(Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, 26 août 1789, art. 1 et 6)
F124 « L’inégalité [de richesse] permet néanmoins de susciter et entretenir le mouve­ment perpétuel de l’industrie du genre humain. [Car] quand les marchands sont méprisés et obligés de payer de lourdes taxes pour avoir le droit de faire librement leur commerce, ils ne peuvent jamais amasser le capital nécessaire à l’amélioration des manufactures. »(Smith, Richesse des Na­tions, II)
F125 « Tout homme est esclave d'un autre aussi longtemps que cet autre le tient en sa puissance, [notamment après] lui avoir inspiré une crainte extrême, ou se l'être attaché par des bienfaits [...]. Lorsque les sujets d'une nation sont trop ter­rorisés pour se soulever, on ne devrait pas dire que la paix règne [...], car la vie humaine se définit, non point par la circula­tion du sang et les différentes fonctions du règne animal, mais surtout par la Raison [...]. Aussi, les champs, la totalité du sol et même les maisons devront-elles faire partie de l'ensemble de la propriété publique. »(Spinoza, Traité Politique, II-V-VI)
F126 « [À quel point faut-il borner le luxe ? [...] Tout est source de mal au-delà du nécessaire physique : le premier qui, ayant enclos un terrain, s’écria “ceci est à moi” et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le premier fondateur de la société civile. Que de crimes [...] de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables “gardez-vous d’écou­ter cet imposteur]. Ce qui suppose, du côté des grands, modérations de biens et de crédit, et, du côté des petits, modération d’avarice et de convoitise. Cette égalité, disent-ils, est une chimère de spécula­tion qui ne peut exister dans la pratique. Mais [...] c’est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l’égalité, que la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir. »(Rousseau, du Contrat Social, II, 11)

ou d'un contrôle social ?

F211 « Tout est bien sortant des mains de l’Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l’homme [...]. C'est dans la disproportion de nos désirs et de nos facul­tés que consiste notre misère […] ; la sagesse humaine, la route du vrai bonheur, est de diminuer l’excès de désirs sur les facultés, et à mettre en égalité parfaite la puis­sance et la volonté. »(Rousseau, Émile ou de l’Édu­cation, ii)
F212 « L’état de nature est celui d’une parfaite liberté d’agir, disposer de sa personne et de ses propriétés dans les li­mites de la loi naturelle [...]. Celui qui tâche d'avoir un autre en son pouvoir, se met par là en état de guerre avec lui. [Aussi] chacun a le droit de punir l’offenseur et d’être l’exécuteur de la loi naturelle. »(Locke, Traité du Gou­vernement Civil, §§10-84)
F213 « Le Droit de la Nature n’est rien en dehors de la puissance de tous les individus pris ensemble. Chacun a donc un Droit de Nature sur tout ce qui est en son pouvoir, autrement dit, le droit de chacun s'étend jusqu'où s'étend sa puis­sance. Et la loi suprême de la Nature étant que chaque chose s'ef­force de persé­vérer dans son être. »(Spinoza, Traité Théologico-Poli­tique, xvi)
F214 « A mesure que les besoins croissent [...], le langage change de caractère : il devient plus juste et moins passionné, il substitue aux sentiments les idées, il ne parle plus au cœur mais à la raison [...]. L’écriture substitue l’exactitude [de la raison] à l’expression [des penchants]. [En substi­tuant la justice à l'instinct il se produit en l'homme un changement remarquable.] »(Rousseau, Essai sur l’Origine des Langues, v)
F215 « L’esprit a un pouvoir de suspendre l’exécution et la satisfaction de l’un quelconque de ses désirs et ainsi, de tous, l’un après l’autre. Il a la liberté de considérer leurs objets, de les examiner sous tous les côtés et de les peser les uns par rapport aux autres [...]. La raison est donc le pivot sur lequel tourne la liberté des êtres intellectuels dans leurs tentatives pour chercher le véritable bonheur. »(Locke, Essai Philosophique ..., II, xxi, 47)
F216 « Tant que les hommes sont dominés par des affects qui sont des passions, ils s’opposent les uns aux autres. [Car] chacun [de manière contingente] désire ce qu’il juge être bon, et s’efforce d’écar­ter ce qu’il juge être mauvais. [Or], seul ce que nous jugeons être bon ou mauvais d’après le commandement de la Raison est bon ou mauvais nécessairement [et non pas de manière contingente]. Donc, les hommes ne s’ac­cordent nécessairement entre eux qu'en tant qu’ils vivent sous la conduite de la Raison. »(Spinoza, Éthique, IV, 35)

F221 «Trouver une forme d’association qui dé­fende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé et par laquelle, chacun s’unis­sant à tous, n’obéisse pour­tant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant, tel est le problème fondamental dont le contrat social donne la solu­tion. C'est un acte d’association qui produit [...], un moi commun doté de vie et de volonté. »(Rousseau, du Contrat Social, I, 6)
F222 « Nul ne peut être tiré de cet état et être soumis au pouvoir politique d’autrui sans son propre consentement par le­quel il peut convenir, avec d’autres hommes, de se joindre et s’unir en société pour leur conservation, pour leur sûreté mu­tuelle, pour la tranquillité de leur vie, pour jouir paisiblement de ce qui leur appartient en propre et être mieux à l’abri des agressions. »(Locke, Traité du Gou­vernement Civil, §§4-95)
F223 « Le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose. [...] Quatre conditions sont essentielles pour la validité d'une convention : le consentement de la partie qui s'oblige ; sa capacité de contracter ; un objet certain qui forme la matière de l'engagement ; une cause licite dans l'obligation. »(Code Civil, art.1101-1108).
F224 « Quand on lit la plupart des philosophes qui ont traité des passions et de la conduite des hommes, on dirait qu’il n’a pas été question pour eux de choses naturelles, [et que l'homme] a sur ses actions un pouvoir absolu et ses déterminations ne relèvent que de lui-même. »(Spinoza, Éthique, III, préf.)
F225 « Si le plus fort a toujours raison, on n’a pas besoin d’obéir par obligation, et si l’on n’est plus forcé d’obéir, on n’y est plus obligé. On voit donc que le droit n’ajoute rien à la force [...]. Convenons donc que force ne fait pas droit et qu’on n’est obligé d’obéir qu’aux puissances légitimes. »(Rousseau, du Contrat Social, I, 3)
F226 « Afin de chercher, dans les lois établies par un gouvernement la conservation de ses propriétés, [...] il faut se doter d'une loi commune ainsi que d'une magistrature à qui faire appel pour trancher les controverses et punir les agresseurs. »(Locke, Traité du Gou­vernement Civil, §§127-87)
F227 « L’homme agit toujours conformément aux lois de la Nature lorsqu’il songe à son intérêt propre et est amené par l’espoir [qui est une joie contingente] ou la crainte [qui est une tristesse contingente] à réaliser cer­taines actions et à n’en pas réaliser d’autres. [Sauf que] dans la so­ciété, les motifs d’espoir ou de crainte seront les mêmes pour tous. [Aussi], aucun acte ne saurait être ordonné à quiconque sans espoir de récompense ou crainte de châtiment [...]. Le droit civil n’est autre chose que le Droit de Na­ture de la masse conduite en quelque sorte par une même pensée. »(Spinoza, Traité Poli­tique, III)
F228 « Pour 2+2=4, c’est comme si une convention avait été passée, mais nous savons qu’il n’y a pas eu de contrat réel ; la situation est comparable dans la théorie du contrat social : nous avons affaire à une norme d’expression que nous avons fixée nous-mêmes. »(Wittgen­stein, Cours de Cambridge1932-1935)  



F311 « Le plus fort n’est jamais assez fort pour être le maître s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en de­voir [...]. Le contrat social est un acte d’association qui produit un corps moral et collectif [...], un moi commun doté de vie et de volonté [...], une personne publique qui se forme par l’union de toutes les autres, qui prenait autrefois le nom de Cité, [...] et aujourd’hui appelé État. »(Rousseau, du Contrat Social, I, 6)
F312 « Toute classe qui aspire à la domination [...] doit conquérir le pouvoir politique pour présenter son intérêt propre comme étant l’intérêt général  [...]. Son intérêt propre est de circonscrire au sein de l’État les luttes des dif­férentes classes entre elles [...]. Ce n’est pas la critique mais la révolution qui est la force motrice de l’histoire. »(Marx-Engels, l’I­déologie Allemande)
F313 « La finalité de l’édu­cation philosophique est d’établir gardiens de l’État ceux qui seront capables de s’attacher à la connaissance de cette essence immuable [le Bien], inaccessible aux vicissitudes de la génération et de la corruption [...]. Tandis que la Cité démocratique est comme un vêtement bigarré, un bazar à constitutions, car il est impossible que la multitude soit philosophe. »(Platon, République, VI, 484c-494a)
F314 « On ne peut pas définir [...] l’État en indiquant seulement la finalité de son activité. [Cela dit] s’il n’existait que des structures sociales d’où toute violence serait absente, le concept d’État aurait alors disparu, et il ne subsisterait que ce qu’on appelle, au sens propre du terme, l’anarchie. »(Weber, le Savant et le Politique, ii)
F315 « Lorsqu’on dit d’une question qu’elle est politique, il faut entendre par là que la répartition, la conservation ou le transfert du pouvoir sont déterminants. [Or] le pouvoir, c’est la chance pour des ordres donnés de trouver obéissance, la­quelle peut reposer sur les motifs les plus di­vers [...]. On ne peut donc définir [...] l’État en indi­quant seulement la fin de son activité et sans ajouter un facteur décisif : la croyance en la légitimité de sa domination. »(Weber, Économie et Société)
F316 « L’autorité, le pouvoir et la violence ne sont pas la même chose. Ceux dont l’obéissance est requise reconnaissent spontanément l’autori­té [sans] contrainte ni persuasion. Le pouvoir correspond à l’aptitude de l’homme à agir de façon concertée : sitôt que plusieurs personnes se rassemblent et agissent de concert, le pouvoir est manifeste et tire sa légitimi­té du fait initial du rassemblement. Tandis que la violence est un acte accompli sans raisonner, sans parler et sans ré­fléchir aux conséquences. La violence peut être justifiable, mais elle ne sera jamais légitime. »(Arendt, du Mensonge à la Vio­lence, iii)

F321 « La lutte pour la reconnaissance et la soumission à un maître est le phénomène d'où est sortie la vie sociale des hommes, en tant que commencement des États. La violence qui est au fond de ce phénomène n'est point pour cela fondement du droit quoique ce soit le moment nécessaire et légitime dans le passage de la situation où la conscience de soi est plongée dans le désir et l'individualité, à celle de la conscience de soi. la vengeance se distingue de la punition en ce que l’une est une réparation obtenue par un acte de la partie lésée, tandis que l’autre est l’oeuvre d’un juge. »(Hegel, Encyclopédie des Sciences Philosophiques, §433)
F322 « Éducateurs et parents, en tant que représentés par le surmoi, restreignent au moyen d’interdictions et de puni­tions, l’activité du moi, et favorisent ou imposent l’instauration de refoulements. [Mais] il importe à la santé psychique que le surmoi se soit développé normalement, c’est-à-dire soit devenu suffisamment impersonnel. »(Freud, Abrégé de Psychanalyse)
F323 « L’État est le lieu par excellence de l’exercice de la violence symbolique [dont] l’un des effets est la transfiguration des relations de domination et de soumission en rela­tions affectives, la transformation du pouvoir en charisme ou en charme propre à susciter un enchantement. [La violence symbolique] est une véri­table force magique exerçant une sorte d’action à distance sans contact physique. »(Bourdieu, Raisons Pratiques, iv)
F324 « Aucun acte auquel jamais ni espoir de récompense ni crainte de châtiment ne saurait être ordonné par une législa­tion afin de décider quelque individu que ce soit. [Sans cela], l’État se dissoudrait de lui-même, ce qui ne serait plus du ressort du droit civil mais du droit de la guerre. »(Spinoza, Traité Politique, IV, 6)
F325 « Il y a trois sortes de dominations : traditionnelle [familiale], charismatique [religieuse], et légale-rationnelle [étatique]. Le propre de notre époque est qu’elle n’accorde à tous les autres groupements et aux individus, le droit de faire appel à la violence que dans la mesure où l’État le tolère. [Donc, le commandement légal-rationnel est émis non pas au nom d’une autorité personnelle, comme les deux autres, mais au nom d’une norme impersonnelle. Et comme seul l’État dispose de moyens matériels d’admi­nistration, l’élément déterminant du droit, c’est l’existence d’une instance de contrainte physique]. »(Weber, le Savant et le Poli­tique, ii)
F326 « Le développement du capitalisme a pour point de départ l’expropriation capitaliste du producteur par rapport à ses moyens de production [...]. La vio­lence d’État est donc d’abord une force économique au service de la classe dominante. »(Marx-Engels, l’Idéologie Allemande)
F327 « S’assurer de leurs enne­mis, se faire des amis, vaincre par habileté ou par force, [bref], l’art de la guerre, c’est là proprement la science de ceux qui gouvernent [...]. Le souverain n’aura comme objectif que sa propre conservation et celle de son État. Les moyens qu’il em­ploiera se­ront toujours approuvés du commun des hommes. [La guerre est la poursuite de la politique par d'autres moyens.]»(Machiavel, le Prince, iii-xviii)
F328 « La domination légale-rationnelle est valide sur un territoire géogra­phique donné où l’existence de l’État et la validi­té de ses règlements sont garanties de façon continue [...]. Le développement de l’État moderne a donc pour point de départ la volonté du souverain d’exproprier tous les autres pouvoirs de leur droit à s’imposer eux-mêmes par la violence dans les li­mites d’un territoire donné. »(Weber, Sociologie des Religions)



Il est dangereux de croire qu’on ne peut être libre, en tant qu’individu ou en tant que groupe, que si l’on est souve­rain. La fameuse souveraineté des corps politiques a toujours été une illusion qui, en outre, ne peut être maintenue que par le moyen de la violence, c’est-à-dire par un moyen essentiellement non politique [...]. Là où des hommes veulent être souverains, en tant qu'individus ou que groupes organisés, ils doivent se plier à l'oppression de la volonté, que celle-ci soit la volonté indi­viduelle par laquelle je me contrains moi même, ou la "volonté générale" d'un groupe organisé. Si les hommes veulent être libres, c'est précisément à la souveraineté qu'ils doivent renoncer [...]. La liberté comme inhérente à l'action est peut-être illustrée le mieux par le concept machiavélien de virtù, l'excellence avec laquelle un homme répond aux occasions que le monde lui révèle sous la forme de la fortuna [succès, réussite]. Son sens est rendu de la meilleure façon par "virtuosité", c'est-à-dire la perfection que nous attribuons aux arts d'exécution (différents des arts créateurs de fa­brication) où l'accomplissement consiste dans l'exécution-même et non dans un produit fini qui survit à l'activité qu'elle a amené à l'existence [...]. Comme toute action comprend un élément de virtuosité, et puisque la virtuosité est la perfection que nous attribuons aux arts d'exécution, la politique a souvent été définie comme un art.

Arendt, la Crise de la Culture, IV, i-ii

lundi 1 février 2010

L'ETAT SUPPRIME-T-IL OU UTILISE-T-IL LA VIOLENCE ?

Il n’existe presque aucune tâche [...] dont on puisse dire qu’elle ait de tout temps appartenu aux groupements poli­tiques que nous appelons aujourd’hui États ou à leurs précurseurs [...]. / L’État ne se laisse définir que par le moyen qui lui est propre, [...] la violence physique légitime. // Depuis toujours, les groupements politiques les plus divers (à commencer par la famille) ont tous tenu la violence pour le moyen normal du pouvoir. /Mais il faut concevoir l’État contemporain comme une communauté humaine qui, dans les li­mites d’un territoire déterminé […], revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légi­time.
(Weber, le Savant et le Politique, ii)


F3 - L’État supprime-t-il ou utilise-t-il la violence ?


Dans ce texte, l'auteur s'interroge visiblement sur la question de savoir si l'État supprime ou utilise la violence. De toute évidence, l'État et la violence ne coexistent-ils pas partout et depuis toujours ? Et si tel est le cas, n'est-ce pas parce que l'État, plutôt que de supprimer la violence, la confisque pour son propre compte ? Nous allons tenter d'expliquer que ce qui constitue l'essence de l'État, ce ne sont pas ses objectifs, qui ont beaucoup varié dans le temps et dans l'espace, mais, contrairement aux autres groupements politiques, la violence comme moyen d'action spécifique et toujours légitime d'atteindre ses objectifs. Et si tel est le cas, c'est que le propre de la domination légale-rationnelle caractéristique de l'État consiste à exproprier tous les autres groupements politiques de leur droit de faire violence pour monopoliser ce droit afin d'assurer sa propre survie à travers des instances de contrainte appropriées.



I - Ce qui constitue l'essence de l'État, ce ne sont pas ses objectifs, qui ont beaucoup varié dans le temps et dans l'espace, mais, contrairement aux autres groupements politiques, la violence comme moyen d'action spécifique et toujours légitime d'atteindre ses objectifs .



"Il n’existe presque aucune tâche [...] dont on puisse dire qu’elle ait de tout temps appartenu aux groupements poli­tiques que nous appelons aujourd’hui États ou à leurs précurseurs."

Dans cette phrase, Weber nous dit que, dans l'histoire, on trouve des exemples extrêmement multiples et contradictoires des diverses tâches qui ont été, tour à tour, assignées à l'État. D'où l'on peut conclure qu'il n'existe pas de tâche qui appartienne à l'État en tout temps et en tout lieu.

(F311) L'opposition radicale entre Rousseau et Marx sur le rôle de l'État illustre parfaitement la thèse de Weber. Pour Rousseau, en effet, l'État est l'ensemble des institutions communes que s'est donnée la volonté générale de régler les conflits non pas par la force qui contraint en établissant un rapport de domination et donc de dépendance particulière, mais par le contrat qui oblige des partenaires, en l'occurrence des citoyens, considérés comme libres et égaux. Ce n'est donc pas la force qui fait le droit, et ce n'est pas la puissance physique de l'État qui fait la légitimité de l'État (F225). D'ailleurs, ajoute Rousseau, « le plus fort n’est jamais assez fort pour être le maître s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en de­voir »(Rousseau, du Contrat Social, I, 6). C'est-à-dire que l'on ne comprendrait pas la stabilité relative des États (et de leurs prédécesseurs, comme le dit Weber, par exemple la Cité grecque, la République ou l'Empire Romain, le fief médiéval, etc.) s'ils n'avaient pas transformé leur force en droit qui ne repose pas sur la force mais sur l'adhésion à un Contrat Social. De sorte, nous dit Rousseau, que les relations sociales sont majoritairement non pas des relations de soumission physique (qui présupposent un rapport de force externe), mais des relations d'obligation morale (devoir comme nécessité intériorisée de respecter autrui). C'est pourquoi, dans tous les cas, « le contrat social est un acte d’association qui produit un corps moral et collectif [...], un moi commun doté de vie et de volonté [...], une personne publique qui se forme par l’union de toutes les autres, qui prenait autrefois le nom de Cité, [...] et aujourd’hui appelé État »(Rousseau, du Contrat Social, I, 6). 
 
(F312) Tout au contraire, pour Marx et Engels, la base de l'État n'est pas contractuelle mais conflictuelle : l'État n'est pas une entité que des individus rationnels et préoccupés de liberté et d'égalité créent pour résoudre les problèmes qui les empêchent d'être libres et égaux, mais au contraire un instrument superstructurel qui ne fait qu'entériner, justifier et perpétuer les rapports de force inégalitaires tels qu'ils surgissent de l'infrastructure économique de production. Pour Marx et Engels, c'est parce qu'il existe une classe sociale matériellement dominante qui s'attribue les postes de commandement dans le processus de production et qui se réserve l'essentiel des fruits de la production, qu'il doit exister un État pour, en quelque sorte, gérer au mieux les intérêts de cette classe dominante. C'est pourquoi « toute classe qui aspire à la domination [...] doit conquérir le pouvoir politique pour présenter son intérêt propre comme étant l’intérêt général »(Marx-Engels, l’I­déologie Allemande). Autrement dit, si toute classe sociale dont la supériorité a été reconnue à l'issue d'une révolution (e.g. la bourgeoisie après la Révolution Française), s'empresse d'installer quelques uns de ses membres au pouvoir d'État, ce n'est pas du tout par souci d'intérêt général, comme le prétend Rousseau, mais au contraire pour valoriser les intérêts particuliers de la seule classe dominante. Or, le meilleur moyen de valoriser les intérêts particuliers de la classe dominante (qui a, toujours, le défaut d'être minoritaire), c'est de faire croire idéologiquement aux dominés qu'ils ont les mêmes intérêts que les dominants, notamment en inventant la fiction de "l'intérêt général" (B324). Donc, contrairement à ce que pense Rousseau, c'est la fonction idéologique de l'État qui explique sa stabilité : « l'intérêt propre [de la classe dominante] est de circonscrire au sein de l’État les luttes des dif­férentes classes entre elles [...]. Ce n’est pas la critique mais la révolution qui est la force motrice de l’histoire »(Marx-Engels, l’I­déologie Allemande). La classe dominante fait croire (et finit par croire elle-même) par exemple que, la stabilité de l'État moderne démocratique est le résultat d'une critique citoyenne raisonnable (en votant, en faisant grève, en manifestant, etc.), alors qu'en réalité c'est le comportement citoyen se limitant à la critique raisonnable qui est le résultat de la stabilité de l'État. Ce qui sous-entend que, si la classe dominée prenait réellement conscience de ses intérêts en tant qu'opposés à ceux de la classe dominante, elle menacerait certainement la stabilité de l'État (par la révolution, e.g.). Donc, si pour Rousseau, la tâche essentielle de l'État est de garantir l'intérêt général (liberté et égalité), pour Marx et Engels, c'est de préserver l'intérêt de la classe dominante (exploitation et inégalité). Ils sont d'accord au moins sur un point : on peut et on doit définir l'État par sa fonction principale.

(F313) Le point de vue de Platon est encore plus intéressant pour confirmer la thèse de Weber. D'un côté, pour Platon, comme nous le savons, « la finalité de l’édu­cation philosophique est d’établir gardiens de l’État ceux qui seront capables de s’attacher à la connaissance de cette essence immuable [le Bien], inaccessible aux vicissitudes de la génération et de la corruption »(Platon, République, VI, 484c-494a). En effet, comme d'une part, c'est l'ignorance de cette Idée du Bien qui, le plus souvent, fait le malheur de la Cité (DME), et d'autre part, c'est le naturel philosophique de ceux qui sont dotés d'un "oeil de l'esprit" capable de connaître cette Idée du Bien qui peut, seul, sauver la Cité, on peut dire que la tâche du philosophe devenu roi dans l'État parfait sera nécessairement unique : réaliser dans la Cité une application le plus fidèle possible de l'Idée du Bien éternelle et immuable qui est au domaine intelligible ce que le soleil est au domaine visible (A112). Mais si le Bien doit être la tâche principale de l'État, alors on est tenté de dire que, tout comme Rousseau et Marx, Platon participe à la joyeuse cacophonie philosophique au sujet de la définition de l'État. Or il est plus subtil que cela en disant que « la Cité démocratique est comme un vêtement bigarré, un bazar à constitutions [pantopôlion politéïôn], car il est impossible que la multitude soit philosophe »(Platon, République, VI, 484c-494a). C'est-à-dire que Platon se rend compte, que, dès ses origines, la fonction de l'État démocratique (dont il ne sait pas encore qu'il est appelé à devenir le modèle politique indépassable des XIX° et XX° siècles), c'est ... de ne pas avoir de fonction pré-déterminée ! Autrement dit, Platon est le premier à remarquer que l'État démocratique est à l'État philosophique ce que le vêtement bigarré est au vêtement uni, ou ce que le bazar est à la boutique spécialisée. Ce qui se comprend aisément par le fait que, dans l'État démocratique, le pouvoir change de main et d'orientation en fonction des manipulations démagogiques dont les orateurs se rendent coupables à l'égard de l'opinion ignorante (A111) : tantôt c'est l'État providence, tantôt c'est l'État policier, tantôt c'est l'État interventionniste, tantôt c'est l'État libéral, etc. Et tantôt, aussi, comme Platon l'avait déjà remarqué et comme cela s'est souvent confirmé au XX° siècle, l'État démocratique décide, démocratiquement, de se saborder. Pour Platon donc, l'État qui, dans l'idéal, devrait avoir une fonction éternelle et immuable, peut très bien ne pas en avoir du tout.



(F314) Finalement, Weber a bien raison de dire qu' « on ne peut pas définir [...] l’État en indiquant seulement la finalité de son activité »(Weber, le Savant et le Politique, ii), puisque ces finalités (ces fonctions) sont, dans l'histoire, extrêmement diverses et variées et que, à la limite même, la finalité de l'État démocratique, c'est de ne pas en avoir. Et pourtant, ce qui intéresse Weber, en tant que sociologue compréhensif1, c'est de définir tout de même l'État, si possible en comprenant les motivations des individus qui l'incarnent et l'animent. Mais, avant de proposer une telle définition de l'État, Weber remarque que « s’il n’existait que des structures sociales d’où toute violence serait absente, le concept d’État aurait alors disparu, et il ne subsisterait que ce qu’on appelle, au sens propre du terme, l’anarchie »(Weber, le Savant et le Politique, ii). En d'autres termes, Weber voit une corrélation entre l'existence de l'État et l'existence du fait social de la violence. A contrario, dit-il, s'il n'existait pas de violence dans les sociétés humaines, alors il n'existerait pas non plus d'État. On serait, par hypothèse, placé dans une situation parfaite, idéale dans laquelle l'ordre social, l'harmonie entre les hommes seraient assurés sans avoir recours à un ensemble d'institutions qui rétablisse l'ordre public troublé par la violence, bref, sans avoir recours à un État. On serait donc, étymologiquement, dans l'anarchie. Car l'anarchie (en grec an-archéïa, "absence de pouvoir") n'est pas l'anomie (en grec a-nomia, "absence de lois") : ce n'est pas le désordre, mais au contraire un ordre tellement parfait et solide qu'il ne nécessite pas l'intervention régulatrice et réparatrice d'un État. Le raisonnement de Weber est donc un raisonnement contrefactuel conditionnel : s'il n'y avait pas de violence on serait dans l'anarchie (au sens étymologique) ; or l'anarchie en ce sens n'existe nulle part ; donc il n'y a nulle part d'anarchie et il y a partout un État.

On sait, pour le moment, qu'on ne peut définir l'État par une fonction unique et universelle et que, néanmoins, il existe une corrélation universelle entre l'existence de l'État et l'existence de la violence comme fait social. Or corrélation n'est pas causalité. Peut-on donc aller plus loin que ce constat de corrélation et affirmer qu'il existe un lien de causalité entre la violence et l'État ?

"L’État ne se laisse définir que par le moyen qui lui est propre, [...] la violence physique légitime."
En effet, répond Weber, il y a un lien de causalité. Sauf que, paradoxalement, ce n'est pas parce qu'il y a de la violence qu'il y a un État, mais au contraire parce qu'il y a un État qu'il y a de la violence. Ou, plus exactement (car ce n'est pas l'État, évidemment, qui invente la violence), c'est parce qu'il y a un État qu'il y a une forme particulière de violence : la violence physique légitime. L'utilisation de la violence physique légitime est, pour Weber, la seule manière de définir l'État.

(F315) Pour Weber, est politique tout ce qui a un rapport avec l'acquisition et la conservation du pouvoir. La question devient alors : qu'est-ce que le pouvoir ? Réponse de Weber : « le pouvoir, c’est la chance pour des ordres donnés de trouver obéissance »(Weber, Économie et Société). Autrement dit, A exerce sur B une action politique, ou, ce qui revient au même, A a du pouvoir sur B, lorsque A entend se donner les moyens pour que les ordres qu'il donne à B aient une probabilité élevée pour que B obéisse à ses ordres. Donc, le pouvoir politique se va se définir par le moyen que A se donne pour maximiser ses chances d'être obéi. Et ce moyen ne peut être rien d'autre que la domination (la contrainte) physique de A sur B, domination dont Weber ajoute néanmoins qu'elle n'aura pas besoin de s'exercer en continu, mais qu'elle pourra (comme dans les sociétés animales) rester virtuelle en reposant sur une croyance (une attente) de B. Pour Weber, qui, rappelons-le, accorde une importance capitale aux motivations subjectives des agents sociaux, l'obéissance est nécessairement motivé par une croyance subjective : la croyance selon laquelle B reconnaît par avance la domination de A comme légitime. « On ne peut donc définir [...] l’État en indi­quant seulement la fin de son activité et sans ajouter un facteur décisif : la croyance en la légitimité de sa domination »(Weber, Économie et Société). De sorte que la violence, qu'elle soit actuelle à travers la violence physique ou virtuelle à travers une sorte d'enchantement surnaturel qui fait accepter par avance toute violence future exercée par l'État (B221), apparaît comme le seul moyen de faire de la politique.

(F316) Hannah Arendt est en complet désaccord avec Weber. Elle lui reproche de confondre le pouvoir, d'une part avec l'autorité, d'autre part avec la violence. « Ceux dont l’obéissance est requise reconnaissent spontanément l’autori­té »(Arendt, du Mensonge à la Vio­lence, iii) : il y a autorité de A sur B lorsque B admet, reconnaît spontanément qu'il doit obéir à l'ordre de A, donc, en termes webériens, lorsque B a toutes les chances d'obéir spontanément aux ordres de A (e.g. lorsque A est le père de B, A est le professeur de B, A est le médecin de B, etc.). Pour Arendt, donc, la définition que Weber donne du pouvoir conviendrait plutôt à l'autorité. Sauf que, ajoute-t-elle, « l’autori­té [s'exerce] sans contrainte ni persuasion »(Arendt, du Mensonge à la Vio­lence, iii), autrement dit sans domination, que celle-ci soit actuelle ou qu'elle reste virtuelle. Bref, l'autorité s'exerce sans violence, car « la violence est un acte accompli sans raisonner, sans parler et sans ré­fléchir aux conséquences »(Arendt, du Mensonge à la Vio­lence, iii). Ce qui semble rapprocher l'autorité de la violence : dans les deux cas, l'obéissance est spontanée. Mais, contrairement à l'autorité, « la violence peut être justifiable, mais elle ne sera jamais légitime »(Arendt, du Mensonge à la Vio­lence, iii). Autrement dit, le fait qu'on obéisse spontanément à la violence, cela ne prouve nullement que la violence soit légitime. Car, pour Arendt, il n'y a de légitimité, dans le monde commun des hommes, que sous réserve que la liberté individuelle soit assurée. Ce qui est évidemment contradictoire avec l'usage de la violence : dire que A a de l'autorité sur B, cela veut dire, non seulement que B obéit à A, mais surtout et que B obéit à A en gardant sa pleine et entière liberté. Bref, la relation d'autorité de A sur B ressemble à la relation de pouvoir de A sur B. La seule différence que fait Arendt entre l'autorité et le pouvoir, c'est que l'autorité est spontanée tandis que le pouvoir suppose la concertation. En effet, le pouvoir, d'après Arendt, « correspond à l’aptitude de l’homme à agir de façon concertée »(Arendt, du Mensonge à la Vio­lence, iii) : il y a pouvoir lorsqu'il y a Contrat Social. Le pouvoir, tout comme l'autorité, exclut donc la domination (contrainte) puisque, comme pour Rousseau ou Locke, le Contrat Social, le consensus, la concertation a précisément pour fonction d'éviter le recours à la contrainte (F225). C'est pourquoi, pour Arendt, pouvoir, pouvoir politique ou pouvoir d'État sont synonymes en ce que tous ces termes désignent le même phénomène spécifique de l'"animal politique" (DMA) qu'est l'homme et qui consiste à aménager le monde commun laissant à chacun la possibilité d'agir librement, donc sans contrainte (D122). D'ailleurs, son exemple favori pour illustrer ce qu'est le pouvoir, c'est le Mayflower compact, "le pacte du Mayflower", conclu par les 102 pilgrim fathers, (les "pères pélerins") pour fonder, en 1620 à Plymouth dans l'actuel Massachusetts, la première des colonies britanniques d'Amérique du Nord qui deviendront plus tard les États-Unis : voilà, pour elle, un bon exemple de Contrat Social qui est à la base de tout pouvoir (politique). En tout cas, pour Arendt, pouvoir et violence sont incompatibles, tout comme sont incompatibles autorité et violence. De sorte que, si A fait violence à B, c'est justement parce que A ne possède sur B ni autorité, ni pouvoir. La violence ne peut donc tenir lieu de politique, comme le montrent les exemples historiques du totalitarisme : la violence, ce n'est pas de la politique, c'est un mode de relation propre au troupeau, non à la Cité (D124). Tandis que seuls l'autorité et le pouvoir sont des relations authentiquement politiques : potestas in populo, auctoritas in Senatu ("le pouvoir dans le peuple, l'autorité dans le Sénat -i.e. dans l'assemblée qui représente le peuple-") aime à répéter Hannah Arendt en citant Cicéron.
Donc, pour Weber, la seule manière de définir l'État, c'est d'indiquer le moyen de son activité : la violence physique légitime, expression qui sonne comme un oxymore tant elle apparaît paradoxale. D'où le problème de savoir comment Weber va s'y prendre pour concilier l'inconciliable, c'est-à-dire pour rendre légitime la domination physique de l'État.
II - Et si tel est le cas, c'est que le propre de la domination légale-rationnelle caractéristique de l'État consiste à exproprier tous les autres groupements politiques de leur droit de faire violence pour monopoliser ce droit afin d'assurer sa propre survie à travers des instances de contrainte appropriées.

" Depuis toujours, les groupements politiques les plus divers (à commencer par la famille) ont tous tenu la violence pour le moyen normal du pouvoir."
Weber commence par dire que nous sommes préparés à la violence d'État puisque, de toute éternité, d'autres groupements politiques, à commencer par la famille, ont toujours fait usage de violence. Dire que la violence est le moyen normal du pouvoir, c'est donc dire qu'elle est le moyen d'exercice du pouvoir que notre éducation a contribué à banaliser.
(F321) Hegel va dans le sens de Weber lorsqu'il montre que le passage de la violence individuelle et chaotique à l'État stable et organisé est très progressif : « la lutte pour la reconnaissance et la soumission à un maître est le phénomène d'où est sortie la vie sociale des hommes, en tant que commencement des États »(Hegel, Encyclopédie des Sciences Philos­ophiques, §432). Autrement dit, le point de départ de la relation politique dont l'État est le garant n'est aucunement une décision raisonnée comme chez les partisans du Contrat Social, mais au contraire la lutte violente et passionnelle pour la reconnaissance individuelle. Mais, comme « la lutte pour la reconnaissance est une lutte à la vie et à la mort »(Hegel, Encyclopédie des Sciences Philos­ophiques, §432) (D113), la nécessité de cette reconnaissance suppose une régulation des relations conflictuelles afin que les passions, sans disparaître complètement (ce qui ne peut se concevoir, dans l'Absolu, que lorsque l'Esprit du Monde aura épuisé toutes les étapes de son processus historique), jouent un rôle toujours amoindri. Bref, pour Hegel, la violence est progressivement apprivoisée et rationalisée par l'État.
(F322) Il en va à peu près de même pour Freud, sauf que la violence primitive n'est pas rationalisée par l'État, mais refoulée par le Surmoi dont l'État est une forme sublimée et impersonnelle. En effet, « éducateurs et parents, en tant que représentés par le surmoi, restreignent au moyen d’interdictions et de puni­tions, l’activité du moi, et favorisent ou imposent l’instauration de refoulements »(Freud, Abrégé de Psychanalyse). Or, les pulsions refoulées sont, prioritairement les pulsions agressives et/ou sexuelles. La tâche de l'éducation consistera donc, d'une part à dompter la violence naturelle du Ça en utilisant l'énergie des pulsions refoulées par le Surmoi en énergie disponible pour construire un Moi sociable à travers, si possible, des activités de sublimation (e.g. à travers l'activité politique), et d'autre part à utiliser la culpabilité diffuse et inconsciente fournie par la composante agressive des névroses pour rendre celles-ci le plus collectives et impersonnelles possible (e.g. en acceptant l'autorité de l'État) (C232). En tout cas, Freud souligne que la cohésion politique est toujours une cohésion névrotique fondée sur la peur, la souffrance, voire la haine, c'est-à-dire sur des pulsions agressives (E323). Les passions (les pulsions) sont donc, pour lui, loin d'être amoindries par l'État : elles sont simplement canalisées dans une direction commune.
(F323) Pour Bourdieu, l'État fait subir à la violence individuelle et naturelle une sorte de dématérialisation : « l’État est le lieu par excellence de l’exercice de la violence symbolique [dont] l’un des effets est la transfiguration des relations de domination et de soumission en rela­tions affectives, la transformation du pouvoir en charisme ou en charme propre à susciter un enchantement. [La violence symbolique] est une véri­table force magique exerçant une sorte d’action à distance sans contact physique »(Bourdieu, Raisons Pratiques, iv). C'est que, par et dans l'État, la domination de classe n'a, en général, pas besoin de s'exprimer violemment. Il suffit que les membres de la classe dominante acquièrent des habitus de commandement et que ceux de la (des) classe(s) dominée(s) acquièrent des habitus d'obéissance pour que l'inégalité sociale, autrement dit la domination, soit considérée comme naturelle et, partant, légitime : « comme dans toutes les manifestations de l’habitus [produit de l’incorporation inconsciente des structures objectives de l’espace social, ce qui incline les agents à prendre le monde social tel qu’il est, plutôt qu’à se re­beller contre lui], l’histoire est devenue nature »(Bourdieu, Langage et Pouvoir Symbolique, i, 1-2) (A131). Il s'instaure ainsi une forme de violence que Bourdieu appelle "violence symbolique" qui se distingue de la violence physique en ce que, premièrement, elle rend exceptionnel le recours à la violence physique, et surtout, deuxièmement, c'est une violence « par laquelle les dominés contribuent à leur propre domination »(Bourdieu, Questions de Sociologie, pro.) (B223), en refusant par exemple ... de recourir à la violence physique brute pour se défendre (habitus de non-violence, de pacifisme, etc.).
(F324) Enfin, pour Spinoza, il n'y a pas réellement de passage de la violence pure à la violence d'État. La violence n'est pas transformée par une rationalisation (Hegel), une sublimation (Freud) ou une dématérialisation (Bourdieu) : la violence ne change pas de nature pour la bonne raison qu'il n'y a qu'une seule Nature et que « chacun existe par le droit souverain de la Nature, et par conséquent […] fait ce qui suit de la nécessité de sa na­ture [i.e. de son conatus»(Spinoza, Éthique, IV, 37) (F2-Texte). Tout être, et donc, en particulier, tout homme, est naturellement doté d'une puissance qui contribue à sa conservation par un droit souverain de nature (conatus). Le problème est que les différents conatus individuels s'entre-détruiraient s'ils n'étaient pas tous dominés par la puissance supérieure d'un être dont le droit de nature à se conserver est antérieur à et plus puissant que celui de chacune de ses composantes. Cet être, c'est l'État, c'est-à-dire la société organisée et réglée au sein de laquelle naît tout être humain et qui impose à chacun d'eux, dans l'intérêt de sa propre préservation, son propre conatus ou "droit de nature", ce qu'on appelle le "droit civil" (jus civitatis, "droit de la Cité") : « le droit civil n’est autre chose que le Droit de Na­ture de la masse conduite en quelque sorte par une même pensée »(Spinoza, Traité Poli­tique, III) (F226). Autrement dit, pour Spinoza, la violence d'État, d'une part est de même nature que la violence individuelle tout en étant d'un degré infiniment supérieur, d'autre part s'impose généralement aux individus avant même que ceux-ci aient pu faire usage de la leur. « [Sans cela], l’État se dissoudrait de lui-même, ce qui ne serait plus du ressort du droit civil mais du droit de la guerre »(Spinoza, Traité Politique, IV, 6) : la situation de guerre est précisément celle dans laquelle se trouvent des hommes dont la violence n'est pas dominée par la violence d'un État.
(F325) Tous ces philosophes ont en commun l'idée que l'État abolit l'usage de la violence individuelle et chaotique, soit en la transformant (Hegel, Freud, Bourdieu), soit en la prévenant (Spinoza). Dans tous les cas, on peut dire que l'État vise à supprimer la violence brute par des procédures d'organisation institutionnelle qui finissent toujours par être intériorisées. De sorte que la présence d'un État digne de ce nom se remarque à ce que le recours à la violence privée pour régler un problème reste exceptionnel et, dans ce cas, fait l'objet d'une condamnation morale et/ou juridique. Ce n'est pas le cas chez Weber qui constate que la violence individuelle et chaotique continue de se manifester régulièrement en présence de l'État, en particulier la violence "traditionnelle" dans le cadre familial et la violence "charismatique" dans le cadre religieux. Mais « le propre de notre époque est qu’elle n’accorde à tous les autres groupements et aux individus, le droit de faire appel à la violence que dans la mesure où l’État le tolère »(Weber, le Savant et le Poli­tique, ii). Weber constate en effet que le propre des sociétés modernes c'est que la violence n'y a cours que sous réserve que l'État accorde l'autorisation d'en faire usage. Il ne s'agit donc pas, pour Weber, d'abolir la violence mais plutôt de la distribuer, de la réglementer : « le commandement légal-rationnel est émis non pas au nom d’une autorité personnelle, comme les deux autres, mais au nom d’une norme impersonnelle. Et comme seul l’État dispose de moyens matériels d’admi­nistration, l’élément déterminant du droit, c’est l’existence d’une instance de contrainte physique »(Weber, le Savant et le Poli­tique, ii). Bref, pour Weber, le droit n'est rien d'autre que le droit de faire violence à autrui. Voilà pourquoi la domination de l'État est légale et rationnelle à la fois : légale parce que c'est la loi comme norme générale et impersonnelle qui autorise ou interdit la violence, rationnelle parce que c'est une force publique unique (police, justice) et non des forces privées multiples qui sanctionnent l'usage de la violence.
La légitimité de l'utilisation de la violence par l'État comme moyen d'exercer le pouvoir doit donc se comprendre comme le fait que c'est l'État, et seulement lui, qui accorde ou refuse à des individus ou à des institutions le droit de faire usage de violence physique. Pour autant, l'usage que fait l'État de la violence physique légitime est-il désintéressé ou bien s'exerce-t-il à son profit ?
"Mais il faut concevoir l’État contemporain comme une communauté humaine qui, dans les li­mites d’un territoire déterminé […], revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légi­time."
C'est pour son propre profit, nous dit Weber, que l'État, dans un cadre géographique bien déterminé, parvient à monopoliser la violence physique.
(F326) Marx explique la naissance de tous les systèmes économiques de production par la nécessité de produire nos moyens d'existence à travers une division du travail dans le cadre de laquelle ceux qui ont les tâches intellectuelles de commandement et de conception se réservent en même temps la plus grande part et la meilleure part lorsqu'il s'agit de se partager les fruits de la production (B314). Cela dit, il y a quand même une spécificité du système économique capitaliste. C'est que « le développement du capitalisme a pour point de départ l’expropriation capitaliste du producteur par rapport à ses moyens de production »(Marx-Engels, l’Idéologie Allemande). C'est-à-dire que le système capitaliste repose sur un coup de force originel : la classe dominée (celles des prolétaires ou travailleurs) se trouve dans un dénuement absolu (les prolétaires ne possèdent rien d'autre que leur force de travail pour tenter de survivre) par suite d'une expropriation dont elle a été l'objet de la part de la classe dominante (celle des bourgeois ou capitalistes). En effet, la première Révolution Industrielle, au milieu du XVIII° siècle en Angleterre, a introduit de nouvelles machines agricoles qui ont augmenté considérablement la productivité du travail agricole et, corrélativement, fait baisser le prix des produits agricoles. Or, comme seuls les plus riches parmi les producteurs pouvaient se payer ces nouvelles machines, il s'ensuivit un exode rural de la part des petits producteurs qui, incapables de résister à la concurrence, furent acculés à la misère. Contraints de quitter leurs terres, ils émigrèrent vers les villes pour y vendre leur force de travail dans l'industrie émergente contre un salaire leur permettant à peine de subsister. Bref, l'infrastructure capitaliste naquit de l'expropriation violente (sous l'effet de la concurrence et de la misère) perpétrée par les riches producteurs sur les moyens de production (les terres agricoles) des petits producteurs. À partir de là, le rôle de la superstructure juridique et politique n'aura de cesse de justifier et de perpétuer l'infrastructure économique inégalitaire (B324) afin d'éviter « une révolution [qui] naît de la contradiction entre les forces productives matérielles de la société et les rapports de pro­duction existants. [L'histoire de toute société jusqu'à nos jours, c'est l'histoire de la lutte des classes] »(Marx-Engels, l’Idéologie Alle­mande) (B316). Donc, finalement, pour Marx et Engels, il existe nécessairement une violence d'État dans la mesure où l'État est une conséquence nécessaire de la division inégalitaire du travail. C'est pourquoi cette violence politique a toujours une finalité économique : « la vio­lence d’État est donc d’abord une force économique au service de la classe dominante »(Marx-Engels, l’Idéologie Allemande).
(F327) Dans un contexte socio-historique très différent, Machiavel se trouve être, au XVI° siècle et en Italie, l'observateur d'une importante période de transition entre l'époque féodale (caractérisée par les luttes incessantes que se livrent entre eux les seigneurs pour acquérir et conserver leur pouvoir) et la Renaissance (caractérisée par l'apparition de l'État moderne, c'est-à-dire une institution dotée des moyens techniques et administratifs capables de tenir en respect d'autres institutions en leur imposant sa puissance). Il est donc bien placé pour remarquer que « le souverain n’aura comme objectif que sa propre conservation et celle de son État »(Machiavel, le Prince, iii-xviii). Ce qui veut dire que, pour lui comme pour Weber, la politique a pour enjeu l'acquisition et la conservation du pouvoir de celui (ceux) qui l'exerce(nt) et non, comme chez Marx et Engels, la gestion des intérêts de la classe économiquement dominante. Par conséquent, on donnera le nom de "souverain" (ou État, ou puissance souveraine) à l'homme ou l'institution qui sera physiquement capable de tout faire pour avoir de bonnes chances de se conserver sans craindre de se heurter à une force supérieure à la sienne. Machiavel raisonne un peu comme Spinoza (toute chose fait nécessairement effort pour se conserver), à la différence près que, pour Machiavel, l'État, ce n'est pas la société toute entière qui réussit à se doter des moyens de se conserver en exprimant son conatus de manière efficace, mais ce serait plutôt la partie de la société (Machiavel l'appelle "le Prince") qui réussit à imposer son conatus à toutes les autres parties de la société pour se conserver (F227). Et, comme cette situation est toujours précaire, l'État n'établit jamais réellement la paix, comme le pense Spinoza, mais est toujours en lutte pour assurer son pouvoir, autrement dit toujours potentiellement en guerre : « s’assurer de leurs enne­mis, se faire des amis, vaincre par habileté ou par force, [bref], l’art de la guerre, c’est là proprement la science de ceux qui gouvernent. [La guerre est la poursuite de la politique par d'autres moyens] »(Machiavel, le Prince, iii-xviii). Aussi, la première qualité requise pour un Prince, c'est la virtù : « sa virtù est d'être d'un caractère facile à se plier aux différentes circonstances dans lesquelles il peut se trouver. Il n’est pas nécessaire d’avoir beaucoup de qualités, mais plutôt de paraître les avoir »(Machiavel, le Prince, xviii) (E331). Machiavel va dans le sens de Weber en considérant que l'État sera amené à poursuivre les objectifs les plus variés en fonction de la nécessité, pour celui ou ceux qui incarne(nt) l'État ("le Prince") de conserver le pouvoir. Et, pour Machiavel comme pour Weber, « les moyens qu[e le Prince] em­ploiera se­ront toujours approuvés du commun des hommes »(Machiavel, le Prince, iii-xviii). Tel est le secret de la légitimité : l'État est légitime parce qu'il est gouverné par un Prince doté de virtù, i.e. qui sait tirer parti de toutes les situations pour conserver le pouvoir.
(F328) Weber emprunte à Marx et Engels les idées d'expropriation et de monopole : « le développement de l’État moderne a donc pour point de départ la volonté du souverain d’exproprier tous les autres pouvoirs de leur droit à s’imposer eux-mêmes par la violence dans les li­mites d’un territoire donné »(Weber, Sociologie des Religions). C'est-à-dire que les autres groupements politiques (la famille, la religion, l'école, l'entreprise, etc., et, d'une manière générale, ce que nous appelons aujourd'hui "les institutions") n'ont plus le droit de faire violence que dans la mesure où l'État l'autorise. De même que, pour Marx et Engels, la classe capitaliste interdit à la classe des travailleurs de produire ses moyens d'existence sauf si, dans le cadre d'entreprises bien déterminées, la bourgeoisie l'y autorise. Et Weber emprunte à Machiavel l'idée que l'État ne poursuit pas d'autre fin que celle de sa propre conservation en faisant un usage souverain de la violence dans le cadre d'un territoire donné : « la domination légale-rationnelle est valide sur un territoire géogra­phique donné où l’existence de l’État et la validi­té de ses règlements sont garanties de façon continue »(Weber, Sociologie des Religions). Mais Weber se distingue de Marx et Engels en ce que la violence de l'État ne poursuit aucune finalité économique. Et il se distingue aussi de Machiavel en ce que la légitimité de l'État n'est pas essentiellement assurée par la virtù personnelle du Prince, mais plutôt par la rationalisation impersonnelle qu'opère le fonctionnement de la violence d'État. En effet, la violence (domination) d'État n'est pas seulement légale, mais elle est aussi rationnelle. Ce qui correspond, chez Weber, au type de rationalité qu'il nomme la Zweckrationa­lität, la "rationalité instrumentale", c'est-à-dire l'adéquation relative des moyens à des fins, en l'occurrence à la finalité de conservation du pouvoir (E223). Et Weber n'a de cesse de souligner que « la conduite de la vie, partout où elle a été ra­tionalisée, a vu son évolution profondément modifiée par ce sens subjectif »(Weber, Sociologie des Reli­gions) (B221), voulant souligner par là le rôle tout à fait primordial dans l'histoire de cette forme de rationalité instrumentale fondée, apparemment, sur des motifs complètement irrationnels (e.g. se conserver). Donc, dire que « le développement de l’État moderne a pour point de départ la volonté du souverain d’exproprier tous les autres pouvoirs de leur droit à s’imposer eux-mêmes par la violence dans les li­mites d’un territoire donné »(Weber, Sociologie des Religions), c'est dire que, pour Weber, contrairement à Hegel, ce n'est pas le processus historique qui s'accompagne de rationalisation dans l'absolu (progression vers l'Esprit Absolu), c'est plutôt le progrès dans la rationalité instrumentale, donc relative à des fins par elles-mêmes irrationnelles (e.g. se conserver), des groupes politiques humains (en particulier l'État) qui engendre le processus historique : même s'il est complètement irrationnel, en apparence, qu'un groupe humain (en l'occurrence l'État) n'ait pour seul objectif que la conquête, l'exercice et la conservation du pouvoir, en revanche, il s'avère que, si les moyens institutionnels (justice, police, armée, école, voire religion, etc.) s'avèrent parfaitement adaptés à cet objectif irrationnel, c'est toute la société, dans un cadre géographique donné, qui va progresser. Weber manifeste par là ses sympathies libérales en tenant un raisonnement très proche, finalement, de celui de Smith à propos de la "main invisible" (E211). La paix sociale est à Weber ce que la prospérité sociale est à Smith : on ne l'atteint qu'en ne la visant pas, et même en visant un objectif apparemment contraire (le monopole égoïste de la violence pour Weber, le monopole égoïste de la richesse pour Smith).
Donc, finalement, en monopolisant la violence pour son propre compte sur un territoire donné, l'État réussit à réduire, dans une certaine mesure, la violence dans la société, bien que cela ne soit qu'un effet indirect et involontaire qui ne rentre nullement dans ses intentions.
Dans la mesure où l'État s'est vu attribuer, au cours de l'histoire, toutes les finalités possibles et imaginables, il est impossible de définir l'État autrement que par une corrélation permanente entre son existence et l'existence de la violence comme moyen d'action de tout groupement politique, c'est-à-dire tout groupement humain où l'enjeu est le pouvoir. Cela dit, la spécificité de l'État comme groupement politique particulier, c'est que l'usage qu'il fait de la violence est légitimé par le fait qu'il est le seul à avoir les moyens institutionnels de contrôler l'usage de la violence sur un territoire donné, même si ce n'est pas pour supprimer la violence, mais plutôt pour la monopoliser dans l'intérêt de sa propre conservation.