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mardi 15 juin 2004

LEIBNIZ ET L'IDENTITE DES INDISCERNABLES.

Dans les Nouveaux Essais sur l'Entendement Humain, Leibniz, frustré d'un dialogue épistolaire direct avec Locke, entend cependant répondre paragraphe par paragraphe aux thèses défendues par ce dernier dans l'Essai . . .. En particulier, l'examen critique du livre II chapitre xxvii est l'occasion pour Leibniz de préciser sa conception de l'identité. Voici ce qu'il fait dire à Théophile dès le §l :
Il faut toujours qu'outre la différence du temps et du lieu, il y ait un principe interne de distinction et, quoiqu'il y ait plusieurs choses de même espèce, il est pourtant vrai qu'il n'yen a jamais de parfaitement semblables: ainsi, quoique le temps et le lieu (c'est-à-dire le rapport avec le dehors) nous servent à distinguer les choses que nous ne distinguons pas bien par elles-mêmes, les choses ne manquent pas d'être distinguables en soi. Le précis de l'identité et de la diversité ne consiste donc pas dans le temps et dans le lieu, quoiqu'il soit vrai que la diversité des choses est accompagnée de celle de temps ou du lieu, par ce qu'ils amènent avec eux des impressions différentes sur la chose. Pour ne point dire que c'est plutôt par les choses qu'il faut discerner un lieu ou un temps de l'autre, car d'eux-mêmes ils sont parfaitement semblables, mais aussi ce ne sont pas des substances ou des réalités complètes. 1
Ce que Leibniz reproche à Locke est donc que le principium individuationis ne peut pas être l'existence dans l'espace et dans le temps. Autrement dit, l'identité d'une chose n'est relative, ni dans le sens où la subsistance du même est conditionnée par des rapports d'extériorité et d'antéro-postériorité entre des composants corpusculaires élémentaires de la chose, ni dans le sens où il n'y a identité que si et seulement s'il y a identification et nomination effectives par un sujet conscient. L'identité doit donc être absolue, c'est-à-dire très précisément être une qualité intrinsèque que chaque entité possède réellement en la rendant ipso facto identique à elle-même et donc, corrélativement, distincte de toute autre, qu'il y ait ou non un sujet conscient pour percevoir cette identité. Ce qui ne veut pas dire que l'espace et le temps ne soient que des illusions, mais plutôt que d'une part ce sont des notions obscures et confuses2, d'autre part ce ne sont pas des notions primitives mais dérivées qui ne sont pas l'antécédent logique mais au contraire le conséquent de l'existence de l'identité3. Qu'est-ce donc qui permet à Leibniz de soutenir cette conception de l'identité?
Contre la conception lockienne de l'espace et du temps, qui est, à peu de choses près, celle de Newton4, Leibniz objecte que "l'uniformité de l'Espace fait qu'il n'y a aucune raison, ni interne, ni externe, pour en discerner les parties et pour y choisir5" et que "les parties du temps sont aussi parfaitement semblables que celles de l'espace, et cependant deux Instants ne sont pas le même Instant [...] : si Dieu n'avait créé le Monde que dans ce moment, il n'aurait pas été créé dans le temps qu'il l'a été6". Dit autrement, ce qu'il y a de contestable dans un principe d'individuation fondé sur l'existence spatio-temporelle, c'est justement que ni l'espace ni le temps ne peuvent être ce principe de distinction au motif qu'il contreviendrait au principe de raison suffisante. En effet, ce que dit Leibniz, c'est que pour choisir, c'est-à-dire vouloir une chose plutôt qu'une autre, il faut discerner, c'est-à-dire percevoir des différences. En effet, en l'absence d'une raison qui soit à la fois nécessaire et suffisante de l'existence de chaque chose actuelle, Dieu aurait pu tout aussi bien la créer à tel endroit plutôt qu'à tel autre, à tel instant plutôt qu'à tel autre. Ce serait dire que le monde est gouverné par le hasard ou, ce qui revient au même, que la volonté de Dieu est irrationnelle. Or, "le Dieu de Leibniz n'est pas le Seigneur newtonnien, qui fait le monde comme il l'entend [ ... ], ce Dieu est l'être suprêmement rationnel, le principe de raison suffisante personnifié, c'est pourquoi Il ne peut agir qu'en conformité avec ce principe7". Il est dès lors de la plus haute importance qu'il y ait une raison dernière à l'existence de chaque chose, raison qui soit tout à la fois ratio cognoscendi et ratio essendi de cette existence. C'est à cette raison dernière de l'existence, à cette exigence de raison suffisante, que Leibniz donne le nom de principe interne de distinction, lequel n'est donc pas un ensemble de relations dans l'espace et dans le temps.
Dès lors, dire que le principe d'individuation recherché est un principe interne, cela revient, semble-t-il, à admettre les deux conclusions métaphysiques suivantes:
- ce qui constitue l'identité d'une entité, c'est un ensemble infini de qualités certaines qui sont toutes prédiquées d'un même sujet possible logiquement équivalent à cet ensemble
- ce qui permet de justifier l'existence actuelle de la même entité, c'est son activité substantielle qui lui permet d'être compossible avec les autres entités.
Conclusions qui semblent découler des prémisses suivantes, par exemple dans la Monadologie :
Nos raisonnements sont fondés sur deux grands principes. Celui de la contradiction en vertu duquel nous jugeons faux ce qui en enveloppe, et vrai ce qui est opposé ou contradictoire au faux.8
Et celui de la raison suffisante, en vertu duquel nous considérons qu'aucun fait ne saurait se trouver vrai, ou existant, aucune énonciation véritable, sans qu'il y ait une raison suffisante pourquoi il en soit ainsi et pas autrement, quoique ces raisons, le plus souvent, ne puissent nous être connues.9
Il y a aussi deux sortes de vérités, celles de Raisonnement et celles de Fait. Les vérités de Raisonnement sont nécessaires et leur opposé est impossible, et celles de Fait sont contingentes et leur opposé est possible.10

A première vue, le principe de contradiction semble devoir caractériser les vérités de raisonnement mais non pas les vérités de fait, car celles-ci sont "contingentes et leur opposé est possible" quand celles-là sont "nécessaires et leur opposé est impossible". En effet, il semble ne pas devoir se trouver de contradiction à nier un jugement qui n'est que contingent, c'est-à-dire qui ne porte sur un fait qui n'est que possible. Tandis qu'il serait contradictoire de nier un jugement qui est nécessaire, c'est-à-dire qui découle d'un raisonnement dont le caractère démonstratif exclut que la conclusion soit autre qu'elle n'est. Or, ce n'est pas le cas car tous les jugements reposent sur le principe de contradiction selon lequel une proposition est vraie ou fausse mais pas vraie et fausse non plus que ni vraie ni fausse. Pourtant, si on peut admettre que (1) - tous les nombres premiers différents de 2 sont impairs ne peut pas ne pas être vraie dans la mesure où le prédicat est nécessairement une partie du sujet, en revanche (2) - Socrate est le maître de Platon pourrait être ni vraie ni fausse dans le sens où elle semble mettre deux termes en relation contingente. Bref, cette dernière proposition énoncerait une vérité de fait dont l'opposé n'envelopperait pas contradiction. Mais justement, la valeur intemporelle du présent de l'indicatif du verbe être11 dans (2) montre au contraire que cette proposition sans être nécessaire est cependant certaine et donc ne peut pas ne pas avoir été telle. Comment expliquer le paradoxe apparent de l'application du principe de contradiction à une vérité de fait ?
La réponse est dans la conception leibnizienne de l'espace et du temps. Si, comme nous l'avons dit, les qualités sensibles perçues dans les choses en raison de leurs relations externes dans l'espace et dans le temps ne sont que des façons confuses de penser qui présupposent un principe interne de distinction réelle, alors "chaque proposition est, en dernière analyse, réductible à une proposition qui attribue un prédicat à un sujet12". En effet, dire que l'extériorité des relations d'une chose ("le rapport avec le dehors") n'est qu'une conséquence sensible13 de ce que cette chose est en soi, c'est dire que toute proposition est un exemple de ce que l'on peut dire avec vérité de cette chose. Dès lors, en dépit de son apparence grammaticale, (2) ne met pas directement en relation les deux termes que sont Socrate et Platon, mais plutôt attribue au sujet Socrate l'un de ses prédicats est le maître de Platon. Or, il est clair que, tout ce que l'on peut dire avec vérité de Socrate aura le même statut, de sorte que "le prédicat est contenu en quelque façon dans le sujet. Le sujet est défini par ses prédicats et serait un sujet différent s'ils étaient différents. Ainsi tout jugement vrai énonçant un lien de sujet à prédicat est analytique14". On doit donc dire que l'identité de Socrate ne dépend que de la défmition réelle du terme Socrate, ce que Leibniz appelle sa notion complète :
Car tous les prédicats d'Adam dépendent d'autres prédicats du même Adam ou n'en dépendent point. Mettant donc à part ceux qui dépendent d'autres, on n'a qu'à prendre ensemble tous les prédicats primitifs pour former la notion complète d'Adam suffisante pour en déduire tout ce qui lui doit jamais arriver autant qu'il faut pour en pouvoir rendre raison. Il est manifeste que Dieu peut inventer et même conçoit effectivement une telle notion suffisante pour rendre raison de tous les phénomènes appartenant à Adam; mais il n'est pas moins manifeste qu'elle est possible en elle-même.15
Ce qui signifie que si S est un sujet et si Al et A2 sont des attributs de ce sujet tels qu'il n'existe aucune connexion nécessaire entre Al et A2, donc si Al et A2 sont logiquement indépendants (AlA2 = ), on ne pourra certes pas inférer que S est A1 de ce que S est A2, ni inversement. Pourtant, en considérant seulement S, on en pourra déduire16 Al, A2, A3, ... An, qui sont tous17 les prédicats primitifs de S qu'un point de vue idéal (celui de Dieu) échappant aux conditions d'espace et de temps pourrait considérer simultanément. Dès lors la notion complète de S est telle que, si S existe, alors il sera vrai a priori18 de S que Al, A2, A3, ... An, et ce, même si cette perception requiert le point de vue d'un entendement infmi (disons de Dieu), là où les capacités finies du commun des mortels ne pourront en rendre compte qu'a posteriori et partiellement. Pour autant, S comme notion complète impliquant la totalité effective de ses prédicats, ne possède qu'une existence possible19, c'est-à-dire non contradictoire en soi, dans le sens où Ai S, ~(Ai S). C'est évidemment en ce sens que tous les prédicats de S constitueront des jugements analytiques : il faut que S soit possible avant que d'être réel, autrement dit qu'il réunisse a priori dans sa notion la totalité des déterminations non contradictoires qui sont susceptibles de le porter à l'existence, C'est pourquoi seront analytiques "toutes les propositions vraies qui n'enveloppent pas une existence actuelle mais se rapportent aux essences ou possibles20", Cela dit, comment passe-t-on de l'existence possible d'une entité à son existence réelle?
"Supposé que des choses doivent exister, il faut qu'on puisse rendre raison pourquoi elles doivent exister ainsi et non autrement21". Il va donc falloir faire appel au principe de raison suffisante pour rendre compte de l'existence du contingent. Plus précisément, "comme il y a une infinité d'univers possibles dans les Idées de Dieu et qu'il ne peut en exister qu'un seul, il faut qu'il y ait une raison suffisante du choix de Dieu22". Or, si la raison suffisante de l'existence du nécessaire (les vérités de raisonnement) réside de toute évidence dans cette nécessité même sans laquelle il y aurait contradiction, en revanche la raison suffisante de l'existence du contingent (les vérités de fait) semble, une fois de plus paradoxale. Sauf à considérer, comme l'indique Leibniz lui-même que "les raisons des vérités contingentes inclinent sans nécessiter23". Or, là encore, il doit exister un principe interne de détermination24 propre à chaque entité existante et qui la rende réellement compossible avec toute autre et non plus simplement possible ou non-contradictoire en soi. C'est en ce sens que toute entité est une réellement et non pas solo numero : toute entité est une substance25, un point métaphysique sans étendue et sans qualité sensible qui ne contient en soi qu'une simple tendance à l'actualisation de tout le détail de son développement ultérieur. Mais un tel développement est nécessairement complet, sinon cela reviendrait à reconnaître la réalité du vide comme néant absolu dépourvu de tout prédicat, ce qui irait encore une fois à l'encontre du principe de raison suffisante. Or le développement continu des substances implique l'accord de chaque substance individuelle avec toutes les autres. C'est dire que l'existence d'un fait contingent, et a fortiori l'existence d'une entité dont les prédicats sont tous des faits contingents, est fondée en raison par sa convenance (ou sa compossibilité) avec d'autres possibles participant mutuellement au meilleur des mondes possibles de telle sorte que l'inexistence ne serait pas alors source de contradiction logique mais simplement cause d'imperfection morale26.
Ainsi, ce qui est constitutif de l'identité d'une substance individuelle n'est rien d'autre que la nécessité pour cette substance d'appartenir au meilleur réseau continu de coexistences spatiales et de successions temporelles possibles, autant d'attributions actuelles dont chacune diffère si peu que ce soit de toute autre. Bref, "que toute position possible est occupée une fois, c'est la loi de la continuité ; qu'elle est occupée une fois seulement, c'est ce qu'ajoute l'identité des indiscernables27". Examinons de très près ces deux conséquences fondamentales de la métaphysique leibnizienne.
D'abord disons que l'on comprend intuitivement la nécessité de la continuité en la déduisant de la nécessité métaphysique de l'inexistence du vide elle même déduite de la nécessité métaphysique du principe du meilleur possible, lui-même déduit de la nécessité métaphysique du principe de raison suffisante. En effet, si Dieu doit créer le meilleur des mondes possibles, si, par suite, il faut une raison suffisante pour porter à l'existence une monade m, alors le développement de m ne peut donner lieu à aucun hiatus, car, si tel était le cas, m serait remplacée par m' afin d'éviter une telle imperfection. Autrement dit, si E est l'ensemble infini des possibles m E, n E, tel que m est compossible avec n. C'est en ce sens que "cette liaison ou cet accommodement de toutes les choses créées à chacune et de chacune à toutes les autres, fait que chaque substance simple a des rapports qui expriment toutes les autres, et qu'elle est par conséquent un miroir vivant perpétuel de l'univers28". Mais dire que toutes les monades s'entre-expriment mutuellement dans leur développement actuel, c'est dire que le développement de la monade n est la limite du développement de la monade m lorsque m tend vers n, c'est-à-dire lorsque la notion complète de m tend à se confondre avec celle de n. Bref, la fonction de développement (ou d'actualisation) d'une monade donnée est continue dans la mesure où toutes les positions intermédiaires entre les développements de deux monades données sont effectivement occupées. Mais qu'est-ce qui prouve qu'une position donnée n'est pas occupée deux fois ? Car après tout, si une monade donnée ne peut, sans contrevenir au principe du meilleur possible, occuper simultanément deux positions distinctes, ne se peut-il pas qu'une position donnée soit occupée par deux monades distinctes simultanément ?
En effet, toute fonction continue n'est pas nécessairement monotone29. De fait, pour établir cette monotonie du développement des monades, comme il est impossible d'avoir recours à la seule analyse a priori, puisqu'aucune monade n'est nécessaire en soi, il faut faire appel ici à un principe qui n'est qu'une conséquence du principe de raison suffisante : c'est le principe de l'identité des indiscernables30. D'après ce principe, deux monades m et n ne peuvent occuper simultanément une position donnée, car alors les raisons ayant conduit m et n à confondre leurs développements respectifs :
- ou bien sont différentes et alors il y a deux raisons suffisantes ou deux meilleurs possibles distincts, ce qui est absurde
- ou bien sont identiques et alors les notions complètes de m et de n se confondent et il faut bien admettre que m = n, ou, si l'on préfère, que m et n sont deux noms pour la même substance individuelle.
Dès lors, ce qui clôt l'identité d'une substance, c'est, outre sa notion complète qui garantit la possibilité de son existence, outre sa continuité qui en assure l'existence réelle, c'est enfin sa distinction qui fonde son unité réelle. En d'autre termes, "ce qui n'est pas véritablement un être n'est pas non plus véritablement un être31", dans le sens où l'identité de l'être repose sur sa distinction effective, c'est-à-dire sur le fait que sa notion complète s'actualise de telle manière qu'elle est déterminée à produire des effets distinctifs conformément à l'élection qui a été faite du monde le meilleur possible. Bref, ce n'est pas simplement sur un principe interne de distinction que se fonde l'identité d'une substance individuelle, c'est sur ce principe en tant qu'il rend intelligibles les effets perceptifs32 qu'il produit sur les autres substances33.
Donc il semble que l'identité d'une substance individuelle ne se réduit pas à sa propre possibilité logique, non plus qu'à sa compossibilité métaphysique avec les autres substances, non plus d'ailleurs qu'à sa seule perception distincte par les autres substances, mais plutôt à la liaison synthétique de ces trois types de fondements. Du coup, il est clair que la tentative de Leibniz de fonder l'identité sur un principe interne indépendant des relations d'espace et de temps ne peut se comprendre que comme une tentative de donner un fondement logico-métaphysique aux distinctions physiques qui se déploient dans l'espace et dans le temps. En effet, "l'étendue est répétition continue simultanée, comme la durée répétition continue successive34". L'espace, comme le temps sont donc respectivement des effets, abstraits peut-être, mais néanmoins consécutifs de l'actualisation réelle des monades. Dès lors la relation spatiale, comme "répétition continue simultanée" suppose la relation temporelle comme "répétition continue successive". Appelons S cette relation de simultanéité, e, f, g des états ponctuels de développement de monades quelconques: S est réflexive (eSe), symétrique (eSf => fSe) et transitive ([eSffSg] => eSg). Dès lors, si M est l'ensemble des états ponctuels des monades sur lequel est défmie S, on pourra défmir une classe d'équivalence C(x) = {x M, y M / xSy), ainsi que l'ensemble quotient E/S = {C(x1), C(x2), ... C(xn)}. Or, qu'est-ce que C(x) sinon l'instant de l'état ponctuel de développement d'une monade donnée, et qu'est-ce que E/S sinon le temps lui-même ? De sorte que la relation temporelle suppose la relation spatiale puisque, si T est cette relation, elle est non-réflexive (e~Te), anti-symétrique ([eTffTe] => e=f), transitive ([eTffTg] => eTg). Donc cette relation de succession temporelle est une relation d'ordre strict sur des états de développement simultanés, donc sur des points géométriques. On est donc forcé d'admettre que l'espace et le temps, pour n'être pas absolus et primitifs, sont néanmoins des effets nécessaires du développement continu et monotone de chacune des monades, autrement dit de leur identité.
On ne comprendrait pas autrement le principe de substituabilité salva veritate selon lequel "prétendre que A est le même que B signifie qu'ils peuvent être substitués l'un à l'autre dans toutes les propositions sans en altérer la vérité35". Car en effet, d'après le principe de l'identité des indiscernables, dire que A et B sont réellement indiscernables, cela revient à dire qu'ils ne sont pas réellement distincts, tout au plus deux marques nominales différentes pour la même substance individuelle. Dès lors, dire que ce qui est vrai de A est aussi vrai de B est trivial puisque, par hypothèse, ou bien A et B sont confondus, ou bien rien n'est vrai de A ni de B, sinon que ce sont deux marques pour une même substance. Ce qu'exprime le principe de substituabilité salva veritate est donc plutôt ceci : si dans toutes les propositions vraies attribuant le prédicat A, la substitution de B à An' altère pas la valeur de vérité de la proposition, alors A et B sont coextensifs, c'est-à-dire deux prédicats de la même substance. D'où l'exemple de Leibniz: "ceux qui sont le même sont ceux qui peuvent être substitués l'un à l'autre sans que la vérité soit altérée comme "triangle" et "trilatéral", "quadrangle" et "quadrilatéral"36". Or justement, comment pourrait-on expliquer cette substituabilité de prédicats qui, après tout, ne sont que des abstractions par rapport à la notion complète du sujet, si l'on ne présupposait pas que ces abstractions ne sont que des expressions contextuelles du développement total d'une substance unique ? Comment pourrait-on substituer le vainqueur d'Austerlitz à le vaincu de Waterloo si l'on n'admettait implicitement que les deux prédicats appartiennent à deux phases successives du développement du même sujet? Comment pourrait-on substituer Everest à Chomolungma si l'on ne reconnaissait que les deux noms correspondent à deux points de vues distincts simultanés sur le même sujet? Bref, tout en étant des notions mutilées et confuses, les relations d'espace et de temps sont inhérentes à l'identité des substances en tant qu'elles dérivent nécessairement de leur développement réel.

1 Nouveaux Essais ..., II, xxvii, 1.
2 "Les notions qui consistent dans l'étendue enferment quelque chose d'imaginaire et ne sauraient constituer la substance des corps". Discours de Métaphysique, XII.
3 "Outre l'étendue, il faut avoir un sujet qui soit étendu, c'est-à-dire une substance à laquelle il appartienne d'être répétée ou continuée". Lettre sur la Question : si l'Essence des Corps consiste dans l'Etendue, in Système Nouveau de la Nature et de la Communication des Substances.
4 Cf. note 94. Dans les définitions des Principia Mathematica Philosophiae Naturalis de Newton, on peut lire successivement que "le temps absolu vrai et mathématique [ ... ] coule uniformément sans relation à rien d'extérieur, et d'un autre nom est appelée Durée" et que "l'espace absolu, de par sa nature est sans relation à quoi que ce soit d'extérieur, demeure toujours semblable et immobile". ln du Monde Clos à l'Univers Infini, p.196-197.
5 Correspondance avec Clarke in du Monde Clos à l'Univers Infini, p.306. Souligné par nous.
6 Op. Cit. p.309.
7 A.Koyré, du Monde Clos à l'Univers Infini p.291.
8 Monadologie, §31.
9 Op. Cit. §32.
10 Op. Cit. §33.
11 À propos de la valeur du temps grammatical dans la présupposition d'identité - distinguée de la supposition d'irréalité - cf. J-C.Pariente, le Nom Propre et la Prédication dans les Langues Naturelles.
12 B. Russell, la Philosophie de Leibniz, II, 8.
13 "Nous nous servons des sens externes comme un aveugle de son bâton [...]. Ainsi on peut dire que les qualités sensibles sont en effet des qualités occultes et qu'il faut bien qu'il y en ait d'autres plus manifestes qui les pourraient rendre explicables". Leibniz, Lettre touchant ce qui est Indépendant des Sens et de la Matière, in Système Nouveau de la Nature et de la Communication des Substances.
14 B. RusselI, la Philosophie de Leibniz, II, 8.
15 Leibniz, Remarques sur la Lettre de M.Arnauld, in Discours de Métaphysique.
16 Leibniz précise bien que la connaissance des vérités de fait est hypotético-déductive : "la connexion ou consécution est de deux sortes: l'une est absolument nécessaire [...] et a lieu dans les vérités éternelles comme celles de la géométrie ; l'autre n'est nécessaire qu'ex hypothesi et pour ainsi dire par accident, mais elle est contingente par elle-même" (Discours de Métaphysique, XIII).
17 Cette totalité est infinie car toute réalité est actuellement divisée à l'infini, de sorte que "tout détail n'enveloppe que d'autres contingents antérieurs ou plus détaillés, dont chacun a encore besoin d'une analyse semblable pour en rendre raison" (Monadologie, §37). Ce principe, qui est une négation des atomes et du vide implique évidemment que toute réalité exprime à elle seule la totalité de l'univers en raison de la connexion infiniment détaillée qu'elle entretient avec la totalité des autres réalités.
18 B. Russell remarque à ce propos que "l'a priori, chez Leibniz, s'oppose à l'empirique, non au contingent [...]. Ainsi a priori n'est pas, comme chez Kant, synonyme de nécessaire" (la Philosophie de Leibniz, III, 14, note l).
19 Ou, si l'on préfère, exprime un monde possible, en raison des connexions infinies de S avec le reste de l'univers.

20 Op. Cit. III, 13.
21 Leibniz, Principes de la Nature et de la Grâce, §7.
22 Leibniz, Monadologie, §53.
23 Leibniz, Remarques sur la Lettre de M. Arnauld, in Discours de Métaphysique.
24 Puisque, en effet, nous avons pu voir que toute entité comprenait virtuellement dans sa notion complète la totalité absolue de ses modifications, sans qu'il soit pour cela nécessaire de faire appel à la causalité externe. Op. Cit. §§ 11 et 12.
25 Ou monade : "Une monade [...] n'est autre chose qu'une substance simple [...] c'est-à-dire sans parties". Op. Cit. § 1.
26 Cf. Monadologie, §§ 52 à 77.
27 B. Russell, la Philosophie de Leibniz, V, 23.
28 Leibniz, Monadologie, §56.
29 C'est-à-dire strictement croissante, strictement décroissante, ou constante sur son domaine de définition.
30 La formulation de ce principe se retrouve dans de nombreux écrits de Leibniz, notamment Monadologie §9, Nouveaux Essais ... , II, xxvii, 1 et 3, Correspondance avec Clarke, juin 1716 et août 1716.
31 Leibniz, Lettre à Arnauld, 30 avril 1687, in Discours de Métaphysique.
32 La perception, chez Leibniz, n'a évidemment rien de relationnel : ce n'est rien d'autre que la tendance à l'actualisation de chaque monade en tant que celle~ci s'effectue en fonction de toute autre. Cf. Monadologie, §§ 11 à 17.
33 Cette tendance au développement comme propriété réelle distinctive de chaque monade trouve son exact corrélat dans la dynamique de Leibniz : "La force passive constitue proprement la Matière ou Masse [elle] est celte résistance par laquelle un corps résiste non seulement à la pénétration mais aussi au mouvement [...]. La force active primitive [...] actualise naturellement un corps organique qui, pris en lui-même séparément [...] n'est pas une substance une mais un agrégat de plusieurs [...]. La force [active] dérivative est [...] la tendance à un mouvement déterminé suivant lequel se trouve modifiée la force primitive ou principe d'action" (de la Nature du Corps et de la Force Motrice, in Système Nouveau de la Nature et de la Communication des Substances). La tendance à l'existence distincte de chaque substance individuelle ou monade correspond donc respectivement à l'inertie, à l'énergie potentielle et à l'énergie cinétique d'un système physique donné.
34 Ibid.
35 L. Couturat, Opuscules et Fragments Inédits de Leibniz, in S. Ferret, l'Identité.